Démographie et écologie : quels enjeux ?

Écologie

15 octobre, 2023
8 min de lecture

La taille de la population mondiale est un lieu de vif débat en écologie. Cause principale pour les uns, question marginale pour les autres. Il est parfois difficile de s’y repérer et pour cause : c’est une problématique complexe. Dans ce premier billet de blog d’introduction sur ce sujet, je vais essayer d’offrir un cadre de réflexion accessible.

Démographie : les apports d’une experte.

« 8 milliards d’êtres humains : trop peuplée la terre ? ». Tel était le nom de la conférence de la démographe Clémentine Rossier[1] donnée à l’Université de Genève le 19 septembre 2023. Je vais tenter de synthétiser les points clés de son propre pour encadrer une discussion éthique autour de la démographie. Évidemment, si le sujet vous intéresse, je vous invite vivement à aller écouter son intervention ! Je vais me focaliser principalement sur le lien entre écologie et démographie.

Démographie : passé, présent et projection

Tout d’abord, situons l’évolution démographique dans le temps[2]. Nous étions 1,5 milliard en 1850, 3 milliards en 1960 à plus de 8 milliards dès novembre 2022 : ces chiffres sont impressionnants. Selon Rossier, on est, dans la balance naissance/décès, on est à +200’000 personnes, par jour, jusqu’en 2050. Le facteur principal de cette augmentation fut la baisse nette de la mortalité infantile durant le XXe. Quand cette dernière chute il faut quelques décennies pour que le désir d’enfant baisse proportionnellement. Nous sommes, en moyenne, à 2,3 enfants par femme dans le monde aujourd’hui. Dans les années 1960, c’était 5 enfants par femmes en moyenne.

Pour le dire simplement, dès lors que les parents sont beaucoup moins inquiets de la survie de leurs enfants, alors c’est la question du niveau d’éducation, de formation, etc. qui devient plus importante. On se met à faire moins d’enfants pour leur assurer un meilleur avenir. La suisse, par exemple, possède un taux de fécondité stable depuis 50 ans : 1,5 enfants par femme. Si la population ne chute pas, c’est que nous avons une immigration positive (qui comble la basse fécondité).

Quant aux projections pour l’avenir, jusqu’à l’horizon 2050 c’est plutôt fiable (les gens sont déjà là, il ne leur reste qu’à vieillir) : la population va continuer d’augmenter. C’est assez certain que la Suisse sera à 10 millions d’habitants à ce moment. Au-delà de 2050, c’est plus spéculatif, cela déprendra beaucoup des décisions concernant les politiques familiales, déterminantes pour cette question.

Démographie et écologie : une question complexe.

Relier démographie et écologie est autant vrai que dangereusement simpliste. À cet égard, je partage la vision de Gabriel Salerno (Géosciences – UniL)[3] :

Il ne faudrait ni réduire nos problèmes à un unique facteur démographique ni nier l’impact massif du nombre d’humains sur le système-Terre.

Gabriel Salerno

La réponse s’explique assez facilement. Écologie, c’est un terme qui regroupe une immense quantité d’éléments. Et tous ces éléments, ne sont pas impactés de la même manière par la population mondiale :

L’épuisement des ressources halieutiques alimentaires (la pêche) ; l’usage des sols ; la concurrence d’usage de ces derniers (surface d’habitation, surface agricoles, zones urbaines et industrielle, etc.). Et donc, dans une certaine mesure, les effets de tout cela sur la déforestation et la biodiversité sont en liens avec la taille de la population. Pour simplifier, on peut dire que pour ces questions chaque être humain = 1 point d’impact.

Cependant, pour le réchauffement climatique c’est complètement différent. Car la population mondiale a certes été multipliée par un facteur de 6 entre 1850 et 2010. Mais, durant la même période, les émissions de CO2 ont été multipliées, par un facteur … de 170[4]. De plus, jusqu’en 1980, les émissions de CO2 étaient émises presque exclusivement par les pays développés occidentaux.

De nos jours, l’Europe et l’Amérique du Nord cumulent environ 47% des émissions historiques, alors qu’elles n’hébergent que 14% de la population mondiale.

Gabriel Salerno

Vous l’avez compris : dans ce cas, ce n’est pas chaque être humain = 1 point d’impact. En Suisse, on est à 12 tonnes (équivalent CO2) en moyenne par an et par habitant, au Sénégal 1 tonne[5]. Rossier le rappelait au début de sa présentation : n’oublions pas que les 4 milliards d’êtres humains les plus aisés émettent 80% des émissions de CO2 planétaire.

Pour résumer : certaines dimensions de l’écologie sont beaucoup plus liées à la démographie que d’autres. Tout simplification de ce problème est une vraie erreur voire, sous nos latitudes helvétiques, une complète hypocrisie pour se détourner de nos responsabilités. (Je rappelle que notre place financière émet de 700 à 900 mégatonnes de CO2 par an, soit 15 à 20 fois plus que les émissions nationales)[6].

Les écolos font sombrer la démographie : un mythe.

C’est une histoire qui revient régulièrement dans les débats médiatiques : les jeunes ne veulent plus faire d’enfants par angoisse écologique. Selon Rossier, cette idée n’a, pour le moment, aucune réalité chiffrée. Primo, parce que pour la majorité des femmes, en Suisse, qui restent sans enfants… ce n’est pas un choix volontaire. Deuxio, la catégorie des jeunes adultes qui ne veulent pas d’enfants est faible et stable depuis longtemps. Tertio, enfin, le refus d’avoir des enfants est très souvent lié au refus du modèle familial dominant et toutes ses conséquences sur la vie quotidienne (stress parental, charge financière, etc.)

Donc, non. Il n’y a pas (pour le moment) une grande vague de jeunes adultes écoanxieux qui, pour ce motif, refusent d’avoir des enfants. Selon Rossier, il y a davantage une corrélation inverse. Lorsqu’un jeune couple réfléchit et fait le choix d’avoir un enfant, la question du future de la planète est davantage discutée.

Bien sûr, cela pourra changer à l’avenir, mais pour le moment une attitude pro-environnement n’a que peu d’impact sur les intentions de fécondité.

Démographie, écologie et éthique : quelques repères.

Réduire l’écologie à une question de démographie c’est néfaste et pour l’écologie et pour la démographie. Cela détourne des vrais problèmes respectifs à ces deux enjeux. Les pays comme la Suisse souffrent, par exemple, de vieillissement de la population qui met en stress divers modes de fonctionnement socio-économiques, comme le système des retraites qui reposent sur la solidarité des actifs et actives. Il y a des enjeux de démographie qui sont singuliers en fonction des différentes régions du monde.

Comme l’explique Rossier, sous nos latitudes, la question de la fécondité est très étroitement liée au politique social en faveur des familles et, surtout, des femmes. Si un pays aide les femmes à conjuguer carrière et parentalité, le taux de fécondité augmente. Alors que, dans la région de l’Afrique subsaharienne, c’est l’accès des jeunes femmes à l’éducation qui va réduire le taux de fécondité (chiffres). Or, les politiques sociales et l’accès à l’éducation sont là deux enjeux importants qu’une simple discussion sur le trop ou trop peu de personnes a tendance à cacher.

Les « trop » c’est les autres.

De même, simplifier l’écologie autour de la taille de la population mondiale, c’est ouvrir la porte à des positions très dangereuses qui ont déjà été théorisée. C’est le raisonnement de Thanos ! J’en avais parlé il y a quelques années sur le blog d’Open Source Church. Cette simplification est le terreau du néo-malthusianisme. L’écrivain Amitav Ghosh résume bien cette cynique tentation :

Bien qu’il soit peu probable d’entendre des propos de ce genre [ouvertement malthusien] à notre époque, il ne fait aucun doute que nombreux sont ceux qui pensent qu’une « correction » malthusienne est le seul espoir de maintenir notre mode de vie.

Amitav Ghosh

L’idée s’explique facilement : il faut que les autres soient moins nombreux pour que nous puissions continuer de vivre comme on veut. Et je vous laisse deviner dans quels types de catégories ont vient puiser pour définir les autres

La tentation écofascite

Si vous voulez un exemple explicite de ce à quoi ce type de position peut mener :

Je me considère comme un écofasciste. (…) L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème. L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuons pas à la surpopulation. (…) Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation et ainsi sauver l’environnement.[7]

Ces propos sont ceux de Brenton Tarrant, l’auteur de l’attaque terroriste à Christchurch en Nouvelle-Zélande, où 51 personnes ont perdu la vie.

C’est le danger central de tout résumer à la démographie. Car la question qui suit est nécessairement : qui doit être moins nombreux ?

Démographie et écologie : une première conclusion

J’espère que ces quelques éléments vous démontrent pourquoi cette question est complexe. Il faut tenir compte des singularités des différentes zones géographiques, de ses besoins en termes de population. S’il existe des régions où les baisses de fécondités sont salutaires pour diverses raisons sociales, sous nos latitudes, la question se pose tout autrement. S’il y a un élément à retenir, c’est qu’il ne faut pas réduire l’écologie à une question de population.

La population est plus souvent une conséquence qu’une cause. Penser à la population pour résoudre le problème, c’est se tromper de cible. La cause profonde n’est pas là.

Clémentine Rossier

L’enjeu est éthique, pas démographique. Si nous souhaitons être telle quantité de personnes sur Terre, alors nous devons être conséquent quant à ce choix. Pour le dire simplement, notre existence ne doit pas hypothéquer la planète. Le mode de vie suisse demande, en moyenne, 2,7 planètes[8]. Cette hypothèque, elle est nécessairement au détriment d’autrui.

Je le redis, la démographie est un sujet technique et aux implications multifactorielles (et c’est moins mon domaine). Il y a bien d’autres dimensions sur lesquelles je reviendrai dans de futur billet comme la parentalité ou la migration.


[1] Directrice de l’institut de démographie et de socioéconomie de l’Université de Genève.

[2] Toutes les données chiffrées sont issues de la conférence de Clémentine Rossier, sinon je mentionne la référence.  

[3] Salerno, G. (2021). Effondrement … c’était pour demain ? Éditions d’en bas.

[4] https://www.lesechos.fr/weekend/planete/les-emissions-de-co2-en-infographies-trajectoires-enjeux-et-solutions-1915476

[5] https://ourworldindata.org/grapher/consumption-vs-production-co2-per-capita?tab=table&time=1990..2019

[6] https://www.rts.ch/info/suisse/13233522-la-place-financiere-suisse-fait-exploser-les-emissions-de-co2-helvetiques.html

[7] Madelin, P., (2023). La tentation écofasciste. Éditions Ecosociété.

[8] Consommation de planètes Terre par pays 2022 | Statista

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