La fiction comme immersion
Intuitivement je dirais que j’écris de la fiction pour deux raisons. La première est celle de pouvoir m’immerger dans des univers qui me sont chers et les explorer. Raison pour laquelle, la quasi-totalité de mes fictions se déroule dans des univers de films, de livres et surtout de jeux-vidéos. Star Wars, Dragon Age ou encore World of Warcraft. J’écris parce que je veux m’imaginer dans ces mondes à travers les yeux d’un personnage. Le lore (l’histoire) de ces univers est le terrain de jeu pour mon imagination.
Concernant les jeux-vidéos, j’écris souvent l’histoire de l’avatar que l’on incarne, mais pas exclusivement. Ainsi, moins un jeu donne d’informations sur celui qu’on incarne et plus je suis inspiré par ce vide narratif.
Prenons deux exemples vidéoludiques.
Écrire la fiction des jeux
Dans les MMO-RPG comme World of Warcraft, l’avatar que l’on incarne n’a pas d’histoire. Il appartient à une faction (Horde-Alliance), une race (humain, orc, elfe, etc.) et à une classe (voleur, mage, paladin) éventuellement, mais ça s’arrête là. Et c’est parfait. Comme bien des joueurs et joueuses, j’ai écrit la backstory (toile de fond) de tous les persos que j’ai le plus incarné dans ce jeu. J’aime imaginer ce qu’ils vivent, ressentent et pensent de leurs existences et de leurs aventures. Ou plus exactement, ce que je vivrais, ressentiraient et penseraient à leur place. Plus un univers offre une liberté imaginative, plus je m’y sens immergée et cela me donne envie d’écrire. Jeux (ou films) et écriture crée une dynamique d’immersion qui me passionne.
Autre exemple : Dragon Age Origins (ci-après DAO). Ici le personnage qu’on incarne possède une petite backstory (qu’on peut d’ailleurs choisir au début du jeu comme humain noble, elfe des forêts ou des villes, etc.). Mais ensuite, le jeu nous laisse une grande liberté d’agir – puisqu’il s’agit d’un RPG à choix multiples (comprenez : nos décisions influencent le récit du jeu). J’ai rédigé toute l’histoire d’une partie de DAO sous forme d’un journal que tiendrait le personnage qu’on incarne. J’avançais dans le jeu, puis j’écrivais les pensées de mon personnage à la suite de certains moments vécus. Une manière de rêver à comment moi j’aurais réagi.
Selon moi, ces univers sont riches en potentialités réflexives et philosophiques parce qu’ils nous mettent dans des situations inédites et complexes. Par exemple (pour les connaisseurs de DAO), j’ai beaucoup écrit sur comment mon personnage pensait son rapport à la magie (et donc aux démons !) : à la puissance qu’elle permet d’avoir (et de ses dangers). Ou encore sur son rôle comme Garde des Ombres, dont le corps est souillé par les engeances qu’il a juré de combattre. Ces détours par la fiction permettent de creuser son rapport personnel à la puissance, aux pouvoirs, aux effets des nos choix, au désir de gloire ou, régulièrement, à la violence.
… et dans Star Wars
Grand fan de Star Wars, cette saga m’a évidemment inspiré diverses histoires. Mon désir d’immersion m’a fait imaginer plusieurs personnages (qui n’existent pas dans la saga) et les faire évoluer dans cette galaxie lointaine. Là aussi, c’est souvent pour aborder les réflexions que moi j’aurais si j’étais dans cet univers. Me sentirais-je plutôt sith ou jedi ? Quelles seraient mes pensées si j’étais tenté par le côté obscur ? De quels personnages de la saga je voudrais être proche ou, à l’inverse, combattre ? Explorer ce qui nous attire dans un monde fictif est riche en découverte sur soi.
Écrire sa vie par la fiction
La deuxième raison, c’est que la fiction ça permet de process (traiter) la réalité. Pendant des années (depuis mes 17-18ans je dirais), j’ai imaginé et construit dans ma tête une grande fiction. Ce n’est qu’au bout de 3 ou 4 ans que j’ai mis cette grande histoire par écrit. Attiré par la figure du Roi-Sorcier d’Angmar de la trilogie du Seigneur des Anneaux (et surtout par son titre de « Roi-Sorcier »), j’ai élaboré mentalement l’histoire d’un personnage qui est devenu, à terme, un Roi-Sorcier.
Cette fiction me servait de caisse de résonance à mon vécu réel. Si je devais surmonter des périodes de stress ou d’épreuves, alors mon avatar fictif en vivait également. De même que pour les réussites, doutes, colères, peurs, etc. En tant qu’introverti (si ce fait n’était pas déjà évident pour vous), ce passage par la fiction un moyen stimulant de répondre au besoin quasi-quotidien de réflexion sur soi. Vous vous souvenez de la fiction de plus de 150 pages ? Eh bah c’est celle-là.
Que d’aventures …
La méthode SuperBetter
J’ai découvert plus tard (grâce à OSC !) la méthode SuperBetter créée par Jane McGonigal. Cette dernière, chercheuse et game designer, propose justement d’être le héros de sa propre histoire via 7 règles :
La créatrice de SuperBetter a imaginé cette méthode alors qu’elle-même vivait une période d’angoisse et de dépression suite à un grave problème de santé. L’objectif est le suivant :
The SuperBetter Live Gamefully methodology is an evidence-based framework that uses the strengths of game play in all of life. Playing SuperBetter means bringing a gameful mindset to everyday life. Players develop new skills, strengthen their whole-person resilience and track how their gameful strengths grow over time.
Jane McGonigal
Beaucoup de l’histoire du Roi-Sorcier applique l’une ou l’autre des règles de SuperBetter. Ce qui est fascinant quand je re-parcours cette fiction (dont la première moitié est sous forme de chronologie commentée), c’est que je me souviens à quel moment de ma vie tel événement fictif fait écho. D’ailleurs, les années passant, j’ai même changé de focalisation. Autrement dit, je n’écris plus à travers les yeux du Roi-Sorcier, mais d’un autre protagoniste, issu des générations suivantes qui ont grandi sous son règne. Je me souviens m’être rendu compte, à un certain moment, que la perspective du Roi-Sorcier ne me parlait plus. J’avais grandi, changé et donc besoin d’un nouvel avatar avec de nouvelles préoccupations.
Autre élément fascinant : j’écris surtout de manière spontanée, quand vient l’aspiration. Cela signifie que je transpose d’abord fluidement (sans trop de réflexion) les histoires qui me viennent. C’est seulement après, en relecture, que j’y entrevois des liens avec mon vécu présent. Des liens que j’interprète bien sûr. Et c’est un exercice réflexif assez révélateur. Exemple : ces dernières années, plusieurs de mes personnages sont constamment en proie à de la frustration et de la colère face à l’immobilisme systémique de leur contexte ou société en proie à des problématiques urgentes, aux effets injustes.
Étonnant, n’est-ce pas ?
Écriture libérée
J’écris pour moi. Pas pour être lu. Cette dimension est essentielle à mes yeux. Faisant une carrière académique (et ayant un blog !), j’ai l’habitude d’écrire en sachant que je serai lu. Or, c’est une dimension contextuelle qui a son importance. Car, dans un coin de ma tête il y aura toujours la préoccupation suivante : « qu’est-ce qu’on va penser de ce que j’écris? ». Mais dans le cadre de l’écriture de fiction, j’écris à 100% pour moi. Personne n’a d’ailleurs une seule de mes fictions. Et j’y tiens. C’est une sécurité importante pour permettre l’authenticité de ma plume et ainsi favoriser la libération de mon imagination.
Curiosité existentielle et éthique
De fait, j’écris pour explorer des Et si… ? Les jeux-vidéos de type RPG (comme Mass Effet, DAO, Witcher, Tyranny et tant d’autres) demandent aux joueurs et joueuses de faire des choix. L’écriture est le moyen pour moi d’aller encore plus loin. De me demander comment je vivrais ces choix. Quelles émotions ? Quelles réflexions après coup ? Quels enseignements en tirer ? Comment nos affectes, nos valeurs morales, notre contexte influeraient sur nos décisions ?
Par exemple, pour rester dans l’univers de Dragon Age : on fait quoi de lui là ?
Et pour les fans de CyberPunk : on fait quoi avec LUI ??
Écrire de la fiction pour moi c’est un jeu permanent entre l’immersion et la réflexion. J’y explore les mondes qui me font rêver et, ce faisant, je découvre des choses sur moi. Sur mes préoccupations, mes évolutions, mes envies.
Et ça c’est cool.